FERNAND ZALKINOV

23 septembre 1923 - 9 mars 1942 arrêté le 31 octobre 1941
Fils d’un modeste cordonnier de la rue des Amandiers, Fernand était bon élève. Ses parents en étaient heureux mais n’avaient pas les moyens de lui faire poursuivre ses études. Fernand le savait bien. Cependant son directeur d’école le pousse à se présenter aux examens et il obtient une bourse d’études qui lui permet d’entrer à l’école Arago où il restera de 1936 à 1939. Le jeune garçon doux qui sera fusillé par les Allemands avait choisi l’étude de leur langue et désirait être professeur d’allemand. Mais la guerre l’empêche de continuer ses études, et il devient ouvrier fourreur. En 1940, il rejoint le mouvement illégal des Jeunesses communistes qui organisent dans le XIe la lutte et la résistance contre le pouvoir autoritaire et anti-républicain qui s’est mis au service des autorités allemandes d’occupation. Il entre aux Bataillons de la Jeunesse. Devant le tribunal, il affirmera avoir agi par conviction personnelle, pour «libérer la France de l’occupation allemande». En même temps que Fernand sont arrêtés son père et sa mère qui seront gazés à leur arrivée à Auschwitz. Lorsque la police vient l’arrêter, il se trouve 126, avenue Philippe-Auguste, dans une «planque» que lui a prêtée Brustlein. C’est là également que se fait prendre une jeune résistante venue aux renseignements. Au total, 62 personnes seront arrêtées, parmi lesquelles les sept membres du groupe avec leurs familles. Fernand avait deux soeurs, Juliette et Rachel. Sa dernière lettre à celle-ci est le plus beau témoignage qu’on ait de sa personnalité.
 

Lettre qu’il a écrit juste avant de mourir :

Ma chère petite soeur,

Tu sais sans doute que j’ai été condamné à mort vendredi et l’on vient de m’annoncer que je vais être exécuté cet après-midi à quatre heures... Il vaut mieux que nous ne nous soyons pas vus, cela aurait été trop dur pour nous deux. Je pense beaucoup à vous et je voudrais vous dire combien je vous ai aimés, mais je ne sais pas comment m’exprimer. J’ai peur pour papa et maman. Je sais que toi, tu seras forte et que tu tiendras. Je ne sais pas où est Juliette ; cette courte lettre est pour elle comme pour vous. C’est à vous que je voudrais confier ces dernières pensées. Pendant ces quatre mois que j’ai passés en prison, j’ai eu bien souvent peur de trembler au dernier moment, mais je crois maintenant que ça ira et que je saurai mourir en homme... Oh, certes ! la vie me semble bien belle en ce moment et j’aurais bien voulu moi aussi en avoir ma part. C’est que, vois-tu, je n’ai pas encore vécu, moi, mais tout de même suffisamment pour me ren-dre compte de ce que peut être la vie (...) ; il me semble que tout a été riant dans mon enfance et auprès de vous. Cela aurait été bon de vivre, d’aimer. Il me semble que je n’ai jamais été aussi jeune que je le suis en ce moment. Il y a du soleil aujourd’hui et je suis bien content (...).
Je viens de recevoir la visite de l’aumônier et il a paru tout étonné lorsque je lui ai dit que je n’avais pas besoin qu’il me remonte. Que j’étais assez fort pour mourir dignement. Je n’éprouve pas le besoin d’une religion quelconque (...).
Il me semble que ces derniers jours ont été un rêve. Les dorures dans la salle du tribunal comme les barreaux de la fenêtre de la cellule, les mots que j’entendais, il me semble que c’était des mots connus d’avance et sans valeur réelle, des mots simplement. Je n’ai ressenti aucune émotion : cela ressemblait un peu à un examen ou à une distribution des prix, mais j’aurais été plus troublé. Ce rêve va bientôt finir, dans moins de trois heures trois quarts (...).Les copains et moi n’avons pas été des lâches. Seulement c’est bien difficile, ceux qui ne sont pas passés par là ne peuvent pas savoir. Certes, nous sommes des enfants les uns et les autres, nous n’avons jamais prétendu être des héros, il ne faut pas trop nous en demander. Nous avons demandé, comme dernière grâce, de mourir ensemble. Si on nous l’accorde, alors ce sera beaucoup plus facile, nous sommes capables de mourir en souriant. Je ne ressens de haine contre qui que ce soit. Je voudrais aimer toute la terre. Je suis si jeune qu’il y a beaucoup d’amour et de chaleur qui n’ont jamais été dépensés et j’en ai pour si peu de temps maintenant. J’ai écrit hier à papa et à maman et je veux leur écrire maintenant. (...)
Quand tu verras les copains, tu leur diras que je suis mort avec courage et qu’ils peuvent être fiers de moi. Si tu vois ma petite camarade Odile, dis-lui que j’ai beaucoup pensé à elle et que je leur ai envoyé mon dernier salut. Je regrette profondément la vie, mais puisqu’il faut mourir eh bien, c’est la mort que j’aurai choi-sie. J’avais toujours rêvé, vois-tu, de mourir debout un jour où le soleil brillerait. Les hommes meurent, mais la vie, elle demeure toujours triomphante, elle se moque bien de notre petite vie à nous. Je songe à tous mes héros, à Saint-Just, et à Ulenspiegel, à Jacques Vingtras et à Jean-Christophe. Je songe à mes chers bouquins, à toutes mes joies, et surtout à vous tous, à André, à Raymond, à Juliette, à tous qui êtes aussi un peu mes héros ! (...)
Adieu ma petite Rachel, je t’embrasse de tout mon coeur, de toute mon âme. Je voudrais mettre en ce dernier baiser toute ma vie qui me quitte. Je me serre contre toi une dernière fois, afin d’être plus fort et de sourire quand la mort viendra pour me prendre. Ton petit frère qui t’aime

FERNAND

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